Ceci est le titre d’un mémo de huit pages qui m’est tombé sous les yeux la semaine dernière.
On se souvient de la phrase de Desproges qui essayait de provoquer la fin d’une érection dans son bain :
« Imaginez que vous mangez des moules mayonnaises tièdes dans un restaurant d’autoroute avec Jean Claude Bourret qui vous explique les montants compensatoires ».
Desproges était un comique professionnel, qui suait sang et eau pour pondre ce genre d’association d’idées, afin de provoquer un rire ou un sourire. Mais pourquoi se forcer ? Pourquoi réinventer la roue ?
Il suffit simplement d’appliquer un peu de recul et de second degré à des situations ou des textes qui n’en ont pas.
Reprenons ce superbe titre : Mise en place d’un système d’incentivisation des salariés à la création de valeur liée à l’activité « incubation des gestionnaires d’actifs ».
Le sens général est incompréhensible au profane, et l’on a du mal à croire que certains professionnels soient touchés par la grâce du savoir en lisant ces quelques mots. J’ai tenté de déchiffrer la suite du mémo, qui m’à renvoyé aux leçons de grecs de ma fille : je ne peux même pas lui faire réciter, je ne sais pas comment ça se prononce. Comme avec le grec ou l’égyptien, on sent cependant une certaine magie dans ces hiéroglyphes d’un autre monde, et faute de comprendre leur sens on peut essayer de déduire comment vivaient les peuplades primitives qui les gravaient dans le format A4.
Ou alors on peut rappeler que selon Jean Paul Sartre, toute forteresse est faite pour être prise et il semble plus raisonnable d’attaquer celle-ci par le biais de son architecte, car je n’ai pas trouvé de canon assez puissant pour défoncer ses murailles crènelées.
Réfléchissons donc ensemble au possible profil de l’auteur. La présence du mot « système » dans le début de phrase trahit la patte d’un scientifique, on pense assez naturellement à un cursus d’informaticien. On note le délicat mélange du franglais et de la technocratie dans le sublime « incentivisation », au sujet duquel même Bill Gates confesse son ignorance crasse : si vous faites jouer le correcteur d’orthographe de Word sur ce double néologisme, la réponse est « aucune suggestion ».
Donc informaticien plutôt jeune, entre 35 et 40 ans, qui a peut être vécu à l’étranger six mois et qui glisse des mots anglais dans toutes ses phrases (parfois avec l’accent).
Il est bien en cour, apprécié de ses chefs que ce genre de mémos terrifie, mais qu’il rassure inconsciemment à l’aide du mot « valeur », qui semble indiquer le MBA ou en tout cas la formation managériale.
La construction de la phrase est magnifique, et révèle le tordu en quête de légitimité : Mise en place DE ‘quelque chose’ DE ‘quelque chose’ DE ’quelque chose’ A ‘quelque chose’ DE ‘quelque chose’ lié A ‘quelque chose’ ouvrez les guillemet ‘quelque chose’ DE ‘quelque chose’ DE ‘quelque chose ’ fermez les guillemets.
Le nombre de relation d’interdépendance entre les objets est quasi infini, tout est dans tout et inversement. Rien qu’avec cette structure on est sur de se perdre dans le labyrinthe et de tomber sur le minotaure au coin d’un buis, les bras croisés en train de se tapoter le biceps.
Des taureaux furieux, le pervers en a glissé plusieurs, savants, pipeau, incompréhensibles ou techniques : (« création », « actif », avec une tendresse particulière pour « incubation », et un grand respect pour « incentivisation »), et vous avez le parfait titre qui tue, instrument de torture qui va vous faire respecter par défaut son auteur puisque vous ne comprenez pas ce qu’il dit.
L’entreprise est une jungle, l’équilibre de la terreur a fonctionné pendant plusieurs décennies entre les superpuissances, on peut concevoir qu’un petit chef au cerveau peuplé de 0 et de 1 cherche à impressionner au détriment de tout bon sens.
Outil de management, arme de destruction massive de neurones, on pourrait presque subodorer une application de la fameuse phrase de Cocteau « puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur ». En fait c’est la seule explication plausible : le mec lui-même ne comprend pas de quoi il parle. Mais il y croit, il ira loin.
Dans mon jargon perso, j'appelle cet exercice de la "diaré verbale". Peut-être que cela soulage le cerveau de l'émetteur ?
Rédigé par : Gester | 29 mai 2009 à 13:41
juste une précision : "puisque les évènements nous dépassent ...etc.", n'est pas de Cocteau mais d'Alfred de Musset dans la pièce "Lorrenzaccio" ; il n'est pas impossible que lui-même l'ai emprunté ailleurs ...
Bea
Rédigé par : Bea | 18 août 2009 à 15:00
Merci Bea, je vais aller potasser Musset, mais je confirme que Cocteau à repris la phrase ( évènements remplacés par mystères ) dans "les mariés de la tour Eiffel".
Merci pour la visite et la précision en tout cas.
Rédigé par : DR HACHE | 24 août 2009 à 13:58
Bonjour,
allez pour le plaisir "Gli incentivi agli investimenti: un’analisi dell’efficienza industriale su scala geografica regionale e sub regionale" et oui l'auteur de votre mémo a tout le moins une connexion avec l'italien !
Et puis parler de Desproges ! voila de votre part une indication que vos neurones ne sont pas toujours utilisé inutilement!
Blague à part jolie votre blog et un bon moment de lecture honte à moi sur mon temps de travail? mais non le propre de mon job est que je me gére comme je l'entends.
Au plaisir de vous lire.
Dominique
Rédigé par : Dominique | 25 août 2009 à 11:31
- Et sinon, c'est grave Docteur ?
- Meuhhh non !
- Et pour les brebis, on fait quoi ?..
- DSLS...
Rédigé par : EL Capéo | 01 septembre 2009 à 01:20