Tous ses proches ont eu à un moment ou à un autre des doutes sur sa santé mentale. Alfie (il ressemble un peu a Michael Caine) a intégré les marchés financiers il y a maintenant 8 ans. Cela devrait en temps normal le faire rentrer dans la catégorie « senior », mais jamais personne ne pourra le considérer comme tel sans un petit sourire aux lèvres.
Une certaine partie de la personnalité d’Alfie s’est arrêtée en fin de classe de quatrième, vers 13 ans et demie, et si son physique est celui d’un adulte sa tolérance à l’alcool par exemple est faible :
En temps normal il peut parfois laisser perplexe mais après une demie bière il se sent obligé d’organiser des courses de trottinettes en salle des marchés, de prendre a pleine main les fesses de son boss venu cherche une photocopie en le confondant
avec l’un de ses amis,
d’arracher le téléphone portable de toutes les filles de la salle en hurlant des insanités d’une voix haut perchée ou mimer la copulation du boa en réunion.
Au physique, il possède les cheveux fins longs et ébouriffés d’un futur chauve qui en profite,et des lunettes rectangulaires à la monture très noire dont le but est moins de corriger sa vue que de lui donner un air vaguement adulte et sérieux.
Il s’habille de façon totalement déroutante, avec des manteaux de prostituée yougoslave
au col de fourrure rose, et insiste pour vous embrasser sur la bouche quand vous le croisez à une soirée, se rue dans le décolleté de toutes les femmes devant tout le monde pendant que sa femme réinvente la notion même de patience en se tapotant sur l’épaule, et en rigolant bien il faut le dire.
Ce père de deux enfants vote, engage fortement les capitaux de la banque en hurlant de rire quand le marché va dans le mauvais sens, et représente une sorte de condensé de l’anti politically correct.
Bien entendu, il est également assez bon dans son domaine, on ne reste pas huit ans trader sans avoir de réelles qualités de décision et de sang froid, même si dans le cas présent tout le monde pense qu’il a raté sa vocation et devrait monter un one man show.
Alfie a quitté notre banque récemment. Progressivement mis sur la touche du fait de son exubérance, il se savait limité dans ses capacités d’évolution et a préféré aller faire un tour d’horizon de la concurrence, en se faisant garantir au passage quelques centaines de millier d’euros de bonus garanti.
Arrivé chez nos concurrents directs, il passe deux mois à comprendre les tenants et les aboutissants de sa nouvelle structure, et ne s’étonne donc pas lorsqu’il est convoqué pour un petit déjeuner organisé par les Ressources humaines.
Il est assez fréquent pour les RH d’organiser ce genre d’événement, qui permet aux nouveaux entrants de rencontrer l’état major de leur métier, ou en tout cas des cadres dirigeants de l’institution.
Alfie n’a pas réellement l’habitudes des grandes banques, puisqu’il avait jusqu’ici limité son champ d’expertise du délire sous toutes ses formes à la salle des marchés, qui est chez nous très cloisonnée. Légèrement intimidé, Il met tout de même une cravate, endosse son costume de mariage et arrive un matin à neuf heures au siège, sous les lambris.
Il se fait recevoir par Tatiana, hôtesse blonde et surmaquillée qui est l’apanage des maisons mères en quête de prestige. Tatiana regarde son beau planning en maroquain assorti à son rouge à lèvres, et indique une salle de réunion, « mais il ont commencé il y a une demie heure ».
A aucun moment Alfie ne se dit il qu’il y a peut être maldonne, et fier comme un coq il se dirige vers la salle en question. Il ouvre la porte, glisse sa tête puis l’entier de son corps dans la salle à l’épaisse moquette ou six quadragénaires son en train de parler d’une voix monocorde autour d’un panier de viennoiserie.
Un vieil huissier se précipite sur Alfie, lui retire son manteau, tire un fauteuil afin que notre clown s’asseye et lui propose thé ou café.
Tout en demandant un capuccino, Alfie échange des regards et de bref hochements de tête avec l’ensemble des participants, tout en commençant à ressentir sans se l’expliquer un léger sentiment de malaise. Impression rapidement accentuée par l’absence totale de chaleur des banquiers présents, voire l’imperceptible froncement de sourcil de l’un d’eux.
Alfie, on l’aura compris, s’est trompé de jour. Il est donc tombé au milieu d’un petit déjeuner dont le thème est « L’impact des normes IFRS et du congrès Bale 2 sur la structure comptable».
Au deux tiers de son café et après un mini chausson au pommes et deux pains au chocolat, il constate avec un inconfort croissant que les regards de plus en plus interloqués se tournent vers lui à peu prés en permanence. Il n’a strictement rien à faire la, et tout le monde en a plus ou moins conscience, dans cinq minutes on va lui demander qui il est, dans dix appeler un vigile.
Que faire ?
Tout simple.
Il se lève, dit merci, et quitte la pièce.
Son nom n’a jamais été mentionné, il ne recroisera jamais les six technocrates qui seront probablement hantés quelques nuits par l’apparition de ce spectre improbable venu prendre son petit déjeuner sans un mot.
Quel génie.
2 ans deja!!! Je viens de relire cette chronique et cela me fait toujours autant rire.....
Heureusement, je commence un nouveau travail, je ne suis donc plus un "senior". Chouette, je vais pouvoir recommencer mes conneries.... C beau la finance de marché tout de meme.
A.
Rédigé par : Alfie | 02 novembre 2008 à 21:27
Les courses de trottinettes en SDM, un must !
Jamais fait mieux.
A quand une chronique sur les jeux des traders ??
Mayo
PS : connaissait pas son pseudo
Rédigé par : mayo | 13 décembre 2010 à 14:54