Charles est responsable d’un département de 35 personnes, donc petit mais très névralgique. Il dispose d’un charisme que ne laissent entrevoir ni son physique d’énarque (dégarni, lunettes et complet de contrôleur de la RATP de 1983) ni sa timidité extrême. Il aborde les gens avec respect et circonspection, et donne l’impression d’être à l’écoute des autres. Sa voix est posée, il a cette diction de bon élève, tout chez lui semble bien articulé et il possède une force de persuasion que l’on retrouve chez les grands BCBG, cette énergie puisée aux sources des valeurs chrétiennes qu’il ne cache pas, avec ses cinq enfants et sa cathomobile.
Comme les prophètes dont il a du étudier la vie, Charles possède une vision
cathomobile.
Comme les prophètes dont il a du étudier la vie, Charles possède une vision mais il a en plus une étonnante capacité à rire du système, et ce savant mélange de volonté et de recul en font un patron à part, une de ces rares figures qui pourraient faire une vraie différence au sein d’un grand groupe.
Voila pour ce qu’on attend lorsqu’on discute une heure avec lui.
Après il y a la vie.
Charles est arrivé il y a un an et demie à la tête du département. Il a remplacé un manager qui avait du se faire prendre par une gangue de boue à la fin du crétacé inférieur et s’était lentement transformé en un très joli morceau de silex, luisant mais assez peu mobile.
En faisant le tour de ses équipes, Charles avait vendu le changement, l’action, la réaction, le mouvement, et je vous jure que je ne parle pas de Sarkozy. En quinze jours, il avait réellement mobilisé une équipe ensommeillée et aurait pu l’emmener au bout du monde.
Alors il lance une réforme.
Ok on y va.
Une seconde.
Bon.
Puis d’un coup une troisième, une quatrième et une cinquième, tout en revenant sur la première et la modifiant. Il embauche quelqu’un pour la seconde ? Oui mais on la modifie, alors on a plus besoin d’elle. Elle disparaît.
L’un de ses alter ego le contredit ? Il disparaît itou. En cinq mois, ses adjoints s’apercevront qu’ils ne lui ont parlé que trois fois plus de 18 mn, même s’il arrive à 7 heure et quart du matin et repart à minuit.
Charles est un solitaire. Il est courtois, poli, policé, et possède en effet une vision. Mais c’est la sienne. Celle des autres ne l’intéresse pas. En fait, les autres ne l’intéressent pas beaucoup, leur destin, leurs idées il s’en tape. Tout ce qu’il veut, c’est les utiliser pour parvenir à son but. Paradoxalement il n’a pas un ego gigantesque, ça n’est pas un politique au sens désagréable du terme, il ne travaille pas pour lui. Mais pas pour les autres non plus. Il travaille pour son projet, sa vision, la façon dont ça doit se passer. Il est à la recherche de la perfection mécanique, c’est LE premier de la classe.
On perd le fil de ce qui le fait courir. La reconnaissance de ses supérieurs, de ses pairs ? Il semble si peu tourné vers les autres que l’on arrive pas à l’imaginer satisfait d’un regard chaleureux ou de félicitations standards. Il n’a pas besoin de papa (la figure de l’autorité et du pouvoir cristallisée dans votre boss, que vous pourrez aimer et haïr mais sur lequel vous vous reposez toujours.) Il a besoin d’avancer, de produire et de faire.
Charles est l’une des plus belle mécanique autocratique qu’il m’a été donné de rencontrer, et c’est d’autant plus fascinant que contre intuitif. Il fait naître des espoirs chez ses troupes qui sont à la hauteur des déceptions provoquées, et il faut du temps pour réaliser que les autres ne le touchent pas.
Et ce qui rend dingue, c’est lorsque cela devient clair, car son éducation jésuitique, son personnage lissé et policé, sa gentillesse de fond également le poussent à éviter la confrontation directe. Au fur et à mesure que le temps passe, ses troupes finissent par s’apercevoir qu’il se soucie d’eux et de leur avis comme d’un pet de lapin mais il continue à répondre « tu as raison » lorsqu’on le contredit, et à chevaucher glorieusement par la suite le hongre de l’indifférence la plus absolue.
Non, l’entreprise n’est pas une démocratie participative.
Oui, le principe hiérarchique est bon, nécessaire et efficace.
Mais que fait il de la parabole des talents, le catho ? Il aurait plus à donner s’il accédait un peu à l’autre.
Et le bon élève ?
Peut mieux faire.
Excellent portrait, finement analysé et glaçant à souhait.
Rédigé par : PAT | 08 juin 2009 à 01:31