Le merveilleux groupe dans lequel je travaille, pour lequel je travaille, se targue de valeurs morales, d’éthique et de respect. Dans l’ensemble des chartes, des textes généraux organisant notre quotidien l’accent est mis sur la droiture, la discipline, la rigueur, le sérieux, mais aussi l’empathie, l’altruisme, la solidarité, tous ces magnifiques principes judéo chrétiens qui sont à l’origine de notre civilisation, et qui permettent accessoirement de balancer un petit taquet sur la nuque des individus qui feraient mine de trop redresser la tête ou de marcher à coté des rails.
Nourris de cette mélasse sirupeuse, on a parfois l’impression de se déplacer dans une piscine de miel, et l’onctuosité de ces bons sentiments
vous ferait presque monter les larmes aux yeux.
Il n’est pas bien difficile de faire pleurer Margot.
Par exemple en ce moment, le sujet des handicapés est à la mode. Intéressons nous à nos frères malchanceux, sauvons les défavorisés de la vie, lançons la croisade des cannes blanches et allons reprendre la Jérusalem qui est au fond de nos cœurs en fauteuil roulant, rachetons nous donc quelques années de purgatoire ça ne peut pas nuire.
La Maison vient de lancer un programme de recrutement, suivi, gestion, accueil des handicapés. Forte publicité interne, création d’une cellule ad hoc dont l’adjoint possède un bras plus court que l’autre, tout cela est fantastique on a envie de mettre 10 francs dans le nourrain.
Après on creuse.
Il existe en France une sorte de quota, qui demande aux entreprises de recruter un certain pourcentage d’handicapés par an. Personne n’est obligé à rien, mais si vous ne recrutez aucun bancroche vous versez une taxe à un fond, qui emploiera cet argent pour l’amélioration de la vie de nos frères moins chanceux. La maison ne s’en vante pas, mais il semble que nous soyons dans les tous premiers contributeurs de ce fond en France…
On comprend mieux la création du programme susmentionné, on a peur de se faire épingler par libé, l'image de marque en prendrait un coup, et conséquemment la valeur pour l'actionnaire aussi. Ce qui est inacceptable.
Alors on se penche sur les textes, car tout cela est très régulé, et donc administratif à l’excès. On s’aperçoit avec une certaine surprise que l’effort demandé aux entreprises est principalement axé sur l’embauche d’handicapés. On part du principe que ceux qui sont déjà dans les murs ne comptent pas dans les statistiques, et que tout doit être déjà fait pour eux puisqu’ils sont la. Donc on s’en fout, en clair.
Parlons maintenant des différents types de handicap. Contrairement aux idées reçues, la majorité n’est pas visible, et beaucoup sont d’ordre psychologiques. Cela veut dire qu’en entreprise, le mal du siècle frappe comme ailleurs, et que pour un manchot on a 100 dépressifs longue durée. A cela, je peux rajouter que s’il est assez rare de devenir handicapé physique au cours de sa carrière, il est très fréquent de passer par des phases de troubles psychologiques.
Aujourd’hui, dans la population de 350 personnes dont je m’occupe, il y a deux dépressifs longue durée, deux paranoïaques et un alcoolique. Ca n’est pas moi qui le dis, c’est leur psychiatre. Ils sont tous en mi temps thérapeutique, et demandent un soin RH de tous les instants. Forts difficiles à réintégrer dans l’entreprise, ce sont des handicapés comme les autres, sauf que ça ne se voit pas, et qu’ils sont de plus pénibles à vivre, « merci du cadeau chacun ses pauvres tu peux te le garder ton cuit du bulbe » sont les réponses que nous recevons (sous une forme différente, je vous rassure) lorsque nous recherchons une mission pour les paranos, qui ne peuvent pas rester plus de six mois en poste sans penser qu’on va les gazer.
Ah bien sur, si j’avais un bon aveugle avec chien, deux culs de jatte et trois manchots, tout le monde ferait la queue pour me les prendre, ça fait bien sur la photo de classe, mais un dépressif n’est ce pas, ça pourrit l’ambiance, et en plus ça n’est pas toujours propre.
Pas un kopeck pour les cuits du bulbe, pas de structure, pas de réflexion, pas de moyens.
En revanche, il a été décidé récemment de payer un chasseur de tête pour recruter des handicapés, afin de remplir le quota.
La rédaction du mandat a du être intéressante.
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