D’un physique sans age, petite maigre et sans formes, sa tête de profil fait vaguement penser a celle d’une tortue, mais son sourire n’est pas sans charme. Elle a passé sa jeunesse en France, et parle cette langue parfois un peu trop châtiée qu’ont les bilingues de naissance, avec une indéfinissable pointe de distance qui passe souvent à tort pour du mépris ou du snobisme.
La première chose qui frappe dans la discussion, c’est son intelligence : elle comprend vite, stocke les informations, les organise avec une grande finesse et une sûreté indiscutable. Seiko est dans la banque depuis bien longtemps, et dans la RH depuis dix ans
. Elle en a gravi les échelons, d’abord parce que son cerveau est très bien organisé, ensuite probablement parce qu’elle a bénéficié de l’ambiance « politically correct » de l’époque, qui mesure sans l’avouer les quotas de femmes et d’étrangers au sein de l’Etat Major.
Alors, une japonaise biculturelle et qui percute… La gestion de ses propres équipes, la confrontation avec les grands patrons et son intégration en Europe se sont avérée plus compliquées que prévu, et viennent de se terminer de façon presque abrupte : elle a été nommée à la tête d’un des département les plus fonctionnels de la banque, qui gère les relations avec les autorités réglementaires et doit vérifier que personne ne pique dans la caisse ou ne finance ben Laden avec l’argent du Cartel de Cali. Pas une promotion.
Seiko a réussi à énerver tout le monde, principalement par son absence.
Etait-elle d’un caractère trop effacé pour faire face à la meute de loups chargés d’ego et de testostérone ? Etait- elle trop raisonnable pour gérer le troupeau de paranoïaques narcissiques obsessionnels et histrioniques qui nous dirigent ?
Etait-ce un problème culturel, à trop rechercher la diversité on finit par faire n’importe quoi ? Un peu de tout ça, mais en tout cas en 4 ans elle s’est faite totalement rogner par tout le monde, et n’a pas su obtenir le respect qui fait partie de sa définition de poste.
J’aimais bien travailler avec elle parce qu’elle était intègre, mais sa réserve naturelle et culturelle l’empêchait de communiquer avec nous, ce qui posait des problèmes fréquents : Comment transmettre aux patrons de métiers, ou même aux individus des informations qu’on n’a pas ? C’est elle qui m’a embauché à la RH, j’ai tout de même une certaine reconnaissance du ventre, et nos contacts ont toujours été plutôt bon. Le seul aspect un peu désagréable de sa personnalité, c’est qu’elle ne mettait aucun affect dans ses contacts avec les gens : j’ai longtemps cru que c’était pour se protéger, en fait c’est parce qu’elle n’en ressentait aucun.
Elle s’en tapait le coquillard.
Pas méchante pour un sou, mais intrinsèquement pas intéressée, et donc parfois d’une brutalité à couper le souffle. Un jour, je lui ai demandé conseil. Je souhaitais obtenir des arguments afin d’expliquer à un malheureux pourquoi il n’aurait pas le poste qu’il guignait depuis un an et devrait probablement quitter la banque à terme.
Après 0.00000038 seconde de réflexion, elle m’a répondu « Tu n’a qu’a lui dire que ce qui est bon pour l’intérêt général est forcément bon pour l’intérêt particulier, n’est-ce pas ». (Elle rajoute n’est ce pas à la fin de toutes ses phrases). J
’ai bien noté de ne pas lui reposer ce genre de question. Seiko s’en va un matin. Elle passe devant notre bureau à tous, dans ce long couloir de la mort du troisième étage ou les bureaux des GI sont en enfilade, et sans s’arrêter elle dit d’un ton neutre « au revoir, je m’en vais », avec un peu moins d’humanité que Giscard quand il est parti en 81.
Mais elle ne s’en va pas toute seule, elle part avec un gros bagage mental : Durant ces quatre ans, Seiko a vu beaucoup de gens qui comptent dans cette banque, qui ne comptent pas des billets au guichet j’entends, tout le gratin.
Elle a fait les entretiens de carrière de tout ce beau monde, quatre ans d’histoire humaine de nos cadres dirigeants. Normalement, ces entretiens donnent lieu à une note rédigée par le RH, qu’on met dans le dossier administratif, ou dans le mini dossier si on ne veut pas que le collaborateur puisse le lire un jour. (C’est assez rare, ne romançons pas).
Mais ces notes existent, ce qui est une bonne nouvelle pour la continuité du métier, et le suivi des demandes, état d’esprit, informations diverses concernant les individus. Lors de la passation, le successeur de Seiko était donc bien content de récupérer les notes d’entretien de celle ci, ça allait lui faciliter la tache et éviter de passer pour un ahuri quand il reverrait chacun.
Ben il les a les notes. Il va pouvoir les lire à tête reposée. Quand il aura appris le Japonais bien sur, Parce que c’est bête, n’est ce pas, elle les a écrit en japonais.
J’adore cette boite.
L'information, c'est le pouvoir...
Rédigé par : Bertrand | 23 mai 2009 à 12:48
j'adore la prise de note en japonnais.
excellent!! merci de m'avoir fait rire.
Rédigé par : AB | 18 juin 2009 à 09:29
Encryptez, encryptez, il en restera toujours quelques notes !...
20/20 au Zigomatomètre, bravo.
Rédigé par : El Capéo | 21 juillet 2009 à 18:37
Bonjour,
Je lis vos chroniques sur Cadremploi et passe le cap sur le blog.
Maîtrisant le japonais ( je suis Française), cette note m'a beaucoup fait rire.
Bonne Continuation ( et bonne année)
Rédigé par : Zhealy | 01 janvier 2010 à 16:40
Mouahahhh, en japonais...
Rédigé par : Alice Merveilles | 21 mai 2010 à 17:54