De même que certains antisémites se targuent d’avoir des amis juifs, il se trouve que j’ai un ami polytechnicien, le jeune Guillaume.
Je dois immédiatement préciser que ce garçon a fait la honte de sa famille : Il était pris à Normale Sup., mais pour ne pas faire comme son père il a préféré intégrer Polytechnique, puis le Corps des Ponts.
Comme il me l’a raconté plus ou moins sérieusement un jour, son paternel a pris ce jour la une « vraie claque ». Dans l’aristocratie du neurone scientifique français, les règles sont en effet assez tristement simples : les écoles sont classées par rang (le même depuis environ 100 ans). Polytechnique, Centrale, les Mines, les Ponts et Chaussés pour ceux qui veulent faire de l’argent ou une carrière, et Normale sup. pour les savants fous,
les fonctionnaires ou les futurs prix Nobel. Après viennent les « petites écoles », Supelec, Supaéro, Télécoms, etc. A noter que plus de 50 % de ce joli monde se retrouvait dans la finance puisque jusqu'il y a peu, JP MORGAN offrait plus de perspective que Bouygues-Draguage à moyen terme. Ca va peut etre changer.
Mais Normale Sup., c’est différent, reconnu comme le sommet, surtout quand papa l’a fait, alors le jeune con qui préfère aller faire l’artiste à Polytechnique, n’est ce pas, c’est un peu comme si le fils Lagardère était rentré dans un cirque.
Lors de cette discussion fondatrice, je m’étais permis d’expliquer à mon nouveau camarade la lente désespérance dans laquelle mes propres parents s’étaient presque noyés après m’avoir regardé brûler trois ans à l’université (en droit, je crois) puis trois de plus dans une école de commerce du groupe 14. Le concours d’entrée étant de dépasser 2,6 grammes d’alcool dans le sang en une heure montre en main, j’avais majoré l’épreuve.
N’ayant donc que peu brillé dans mon parcours académique, j’étais assez moyennement sensible à ce type de hiérarchie : j’en étais resté à une admiration muette pour ceux qui avaient un Bac scientifique, et les polytechniciens me paraissaient aussi accessibles que les chartreux.
Puis je rencontrais Guillaume et un certain nombre de ses amis, et je m’aperçus alors que l’on parlait de gens presque normaux, avec probablement la même proportion d’abrutis, d’autistes ou de pervers narcissiques qu’ailleurs, mais ceux que je voyais étaient drôles, ouverts, pas forcément tous en prise avec la réalité mais en tous cas vifs dans un certains nombre de domaines.
Dans nos diverses discussions, je compris également que cette communauté humaine avait des pulsions, notamment d’ordre sexuel voire amoureux, mais que la hiérarchie sus mentionnée s’appliquait souvent à l’intérieur de ces pulsions, avec un petit prisme machiste. Soyons plus clair : dans le milieu essentiellement masculin des écoles d’ingénieurs français, un X Corps des mines peut éventuellement se marier avec une Telecom, mais il aura toujours un peu l’impression de l’avoir sortie du ruisseau. Je fis ainsi la connaissance un certain nombre de spécimens dont certain devinrent des amis, qui semblaient tous un peu venus d’ailleurs, ou destinés à y repartir.
De la jeune banquière dynamique qui remet sa carrière en cause tous les six mois au mathématicien qui bouge les doigts en permanence( hypnotisant quand vous l’avez remarqué), du consultant qui joue le jeu sans être dupe du système à l’ingénieur passionné de chine, très créatif dans ses cadeaux de fiançailles ( un collier de viande de bœuf pour la jeune pékinoise élue de son cœur), tous et toutes ont des personnalités riches et entières, une conscience aigue des mécanismes de la compétition et un certain recul sur leur propre personnage mêlé à beaucoup de fraîcheur.
Dans le cadre de mes fonctions à venir, Guillaume m’a gentiment proposé de l’accompagner au Forum de Polytechnique, sorte de gigantesque foire aux bestiaux dans laquelle les entreprises viennent faire leurs emplettes, acheter les jeunes candidats en les séduisant avec des minis ballons de rugby en mousse et des accents américains.
Pour nous faciliter la tache, nous aurons de plus son petit frère, qui est en deuxième année de Polytechnique actuellement (la sœur a été répudiée, elle n’avait intégré que Supélec, mais en même temps c’est une fille comprenez vous). Nous arrivons donc un matin sur le joli Campus de l’école, et nous dirigeons tout droit vers des dortoirs dessinés par Le Corbusier un jour ou il avait égaré ses lunettes, pour aller réveiller le frère de Guillaume.
Dans un couloir sinistre, nous nous plantons devant une chambre et frappons délicatement, puis de plus en plus fort sur une porte qui sonne bon le contreplaqué hongrois. La porte s’ouvre d’elle-même, nous avons juste le temps de voir une main se renfiler prestement sous une couette. Comment décrire la scène ? Un amas. Une petite pièce dont le sol, la table, le lit les armoires son recouverts d’une épaisse couche de crasse, poussière noire mélangée à du gras. Des objets hétéroclites en vrac partout , avec une grande majorité de chaussettes et de slips dont le coton à disparu mais qui tiennent quand même tout seuls avec leur forme initiale, n’ayant jamais été lavés.
Des mégots partout, des cadavres de bouteilles diverses jonchent le sol, à droite de la porte se trouve le lit sous la couette duquel une masse informe pousse des grognements rauques à deux Mégahertz. Lorsque, à travers un brouillard qui pique les yeux, nous distinguons enfin une tête blonde, c’est pour nous apercevoir qu’elle est maculée de taches marrons, que nous prenons pour du sang. « Du Nutella » nous informe le locataire des lieux en guise de bonjour. Il tourne la tête, se cogne à une bouteille de Vodka à moitié pleine, et se rendort illico. Guillaume le secoue un peu, et le malheureux se retrouve obligé de nous faire un café dans leur cantine de l’étage, sorte d’image d’Épinal d’un hôtel « Une Etoile » Roumain de 1977.
Redéfinissant mentalement la notion de précarité, j’essaye de comprendre ce que marmonne Mister Gueule de Bois, qui promet finalement de nous rejoindre avec ses amis pour le déjeuner. Trois heures plus tard, pendant que nous sommes en train de vanter les mérites du monde bancaire à quelques ordinateurs vivants qui iront chez Merril Lynch de toute façon, nous voyons arriver trois clowns détendus, rigolards sympa et totalement débraillés.
On a du mal à croire que toute cette population soit passée par le service militaire, et s’il est évident qu’ils ont du se soumettre à une certaine discipline pour en arriver la, on ce dit qu’il ne vont pas être évident à cadrer par la suite. Nous allons à la cafétéria, où certains de leur amis demandent en me regardant si « T’es v’nu avec ton père ? », puis nous déjeunons dans une cantine étonnamment correcte.
De retour au Forum, je leur demande d’aller faire un tour de la concurrence (les autres banques) pour piquer les brochures, et devant leur regard incrédule je comprends qu’il faut les suivre à distance et leur indiquer du doigt les bons stands. En effet, lorsqu’ils passent devant Goldman, ils ne s’arrêtent pas. Je presse le pas, et leur lance des regards désespérés. L’un d’entre eux se retourne alors, revient vers moi devant le stand et me dit « Goldman Sachs, c’est une Banque ça ? ».
Ben ouais. Et Polytechnique, c’est une école ?
Que voulez, cher amis, votre concours d’entrée était de dépasser 2,6 grammes d’alcool dans le sang en une heure montre en main, il s'agit de la condition d'obtention (non formalisée naturellement)du diplôme d'ingénieur dans de nombreuses écoles. Il est donc parfaitement normal que les élèves s'entrainent pendant leurs études.
Rédigé par : Franck | 19 mai 2009 à 09:19
Je me demande si cette alcoolothérapie est destinée ou pas à anesthésier quelque chose chez ces jeunes et belles cervelles...
Et si ça les aidait à tuer l'enfant (et ses idéaux), à renoncer en quelque sorte à une part d'eux-même, en prouvant par ce sacrifice rituel qu'ils sont prêts à se soumettre à Moloch et à ses Lois financières ?..
Il leur faudrait donc prouver comme Abraham qu'il sont prêts, et sont dignes eux aussi de servir la Divinité des Marchés ?
Puisque l'alcool donne du courage, en qu'en montant au front les Bougnoules réclamaient "Aboule gnôle !" à leurs Sergents de tranchée (léguant ainsi sans le savoir à leurs héritiers un surnom français sans gratitude aucune), nos Grands Ecoliers donc, perpétuent bien cette indispensable immolation de la fine fleur de nos écoles à la fine bouche de la Phynance, laquelle se prend pour Zeus en voulant sans cesse absorber la "Mètis humaine" de nos Ulysses mercenaires.
C'est dommage, tant elle manquera ailleurs...
Rédigé par : El Capéo | 21 juillet 2009 à 21:11
Intéressante origine, merci pour ça, et assez d'accord avec vous sur le besoin d'une hyper alcoolémie à cet age la pour s'affirmer, pas si grave si elle ne dure pas.
La phynance absorbe moins ces jours ci.
Rédigé par : DR HACHE | 22 juillet 2009 à 20:05