Dans de nombreux films noirs et quelques comédies policières, on retrouve le méchant en train d’expliquer à un innocent instrumental que braquer une banque ou une bijouterie n’est pas immoral. L’argument, c’est que le montant subtilisé sera récupéré auprès des compagnies d’assurances, qui le neutraliseront elles mêmes en augmentant marginalement les primes du pékin moyen, ce dont il ne s’apercevra même pas.
On connaît la chanson, et ça me fait toujours penser à ce malin qui s’était offert une campagne de presse sur une semaine aux états unis dans les années 70 en disant
« vous n’avez plus que 8 jours pour envoyer votre dollar » puis 7 jours le lendemain, 6 jours, etc etc. il y avait une boite postale et c’est tout. A la fin de la semaine le mec était riche.
Eh bien nous venons de faire pareil, mais pas exprès.
Notre grand et valeureux groupe est en train de racheter un compétiteur étranger. Je ne rentrerais pas dans les détails de la transaction, je n’ai jamais rien compris à ces trucs la, mais ce qui est sur c’est que nous payons deux euros par action (je donne un chiffre rond pour conforter les moins matheux), pour un total de 7 milliard d’euros, et que les gens avaient jusqu’à la semaine dernière pour nous les vendre.
Ca fait beaucoup d’actions.
Cette action, toujours sur le marché, ne traitait plus beaucoup.
Mercredi dernier, l’un de nos trader junior, à la suite d’une légère bévue, en vend une toute petite quantité, à deux Euros donc.
Il s’en aperçoit, panique un peu (il a vaguement conscience que l’on est pas supposer traiter cette action, sans savoir bien pourquoi), va voir l’équipe du prêt emprunt qui lui dit « ouh là là malheureux ne reste pas vendeur de cette bouse, rachète les »
Donc il rachète. Pas a 2, a 2,0025.
Donc notre groupe, visiblement, ne paye plus 2 pour toutes les actions qu’il lui reste à acheter, ( environ 1,5 milliard d’Euros) ; elle paye 2,0025. Du moins est ce comme cela que l’interprètent les autorités de marché du pays concerné.
Là tout de suite, nous venons de verser 0,25 centimes d’Euros supplémentaire par action. Ca ne fait pas beaucoup, par tête de pipe. C’est presque totalement invisible pour les récipiendaires. Mais ça nous coûte quand même plusieurs millions d’Euros cette petite plaisanterie : il faut multiplier les miettes de centimes par milliards, ça fait désordre.
Quelques commentaires
D’abord, une petite pensée pour le grand moment de solitude du trader face à l’étendue de la catastrophe générée par ses petits doigts frileux et son absence de cerveau. Je suis particulièrement sensible à ce qu’il a pu ressentir, l'un de mes amisa ayant a lui meme cheté pour soixante dix millions d’Euros d’actions anglaises avec ses fesses, un jour qu'il s’étais assis par inadvertance sur le clavier d’un de ses camarades trader en salle des marchés. il en avait entendu parler pendant un certain temps, je vous laisse imaginer le niveau des surnoms qui avaient pu lui être attribués pendant les mois qui suivirent, de « cul d’or » à « « Fesse Value ».
Je passer rapidement sur l’extrême improbabilité que toutes les circonstances menant à de telles bévues soient réunies : le Titanic n’aurait jamais du couler, on est tous d’accord il était insubmersible. A chaque fois qu’on réécrit le scénario, on s’aperçoit qu’il y avait dix huit conditions nécessaires mais pas suffisantes, et on a presque envie de ne pas en parler tellement c’est gros.
Alors bien sur on va mettre des feux rouges là où il y a eu l’accident, et améliorer les processus, mais curieusement la probabilité qu’un événement aussi improbable se reproduise restera assez haute.
Le trader concerné devrait logiquement partir faire du caritatif en Somalie pendant quelques années pour se faire oublier, et dans tous les cas de figure quitter la banque.
Quoiqu’on lui en dise, il paiera sa bêtise trop cher s’il reste, pour une raison simple :
Le patron de métier mondial s’est fait taper sur la tête à cause de lui.
Celui-ci est responsable d’un petit millier de personnes, qui génèrent une part non négligeable des revenus de la banque. Il est devenu un personnage clef, qu’il faut manier avec des pincettes puisqu’il peut à tout moment se réfugier derrière l’excellence des résultats de ses équipes. Il a une cinquantaine d’alter ego dans la banque, qui gèrent des équipes parfois plus larges, mais il se positionne dans le peloton de tête en terme de résultats.
Cette boulette, ce « Gros Doigt » comme se plaisent à appeler les trader toute petite erreur générant de grosses pertes, est remonté immédiatement chez le No 1 de la banque, évidement.
Celui-ci a du être partagé entre l’exaspération et le plaisir : tout le monde a l’air crétin dans cette histoire, et il est le chef de tout le monde. Cela dit, ça lui donne un peu de biscuit pour taper sur la tête du patron de métier qui marche un peu trop bien et devient difficile à canaliser :
« Dis donc c’est le bordel chez toi… »
Notre affaire devient donc un outil de management comme un autre.
Ce qui est rigolo, c’est que le patron de métier en question est l’archétype du manager tourné vers le haut. Il ne vit ne pense, ne respire que par ses relations avec ses supérieurs.
Il s’est toujours positionné au dessus des autres et ne leur a jamais parlé, il n’a aucun contact avec la base de son propre métier, n’en a jamais eu. Ca n’en fait pas forcément un mauvais manager du reste, il a réussi à se faire une place dans la cour des grands et aspirer ses équipes vers le haut, mais au quotidien voila un homme qui ne connaît pas et donne l’impression de mépriser ses troupes, éminemment antipathique par destination, presque par choix.
Cette histoire, c’est donc tout ce qu’il déteste, être victime de l’erreur d’un plébéien et devoir en rendre compte devant le roi. Il a du en faire des cauchemars la nuit, alors que vous pouvez me croire il a plutôt l’habitude d’en inspirer.
On notera que pour tout ce joli monde les quelques millions d’euros de perte sont la partie visible de l’iceberg, le vrai problème n’est pas la. Tout le monde s’en fout des millions d’euros à l’échelle de la maison, et on s’en tire plutôt bien, ça aurait pu être dix fois plus a peu prés aussi facilement. Ce qui compte, une fois de plus, pour chacun des acteurs du drame,
C’est l’image.
Voici la version 2005 de « vous n’avez plus que 8 jours pour envoyer votre dollar »...
Un étudiant anglais, Alex Tew, a eu le premier cette idée de génie de créer une page web de 1000 x 1000 pixels couverte de publicité vendue au prix de 1$ par pixel, le simple culot de l'opération générant lui-même les retombées médiatiques et donc le précieux trafic sur la page. Il a ainsi gagné la somme rondelette de 1 million de $ pour quelques heures de travail et sans compétence technique particulière :)
Contrairement à certaines opérations financières, il a vraiment créé de la valeur. J'ai moi-même acheté 30x30 pixels le 18 septembre 2005 à Alex et c'est sans doute un de mes investissements publicitaires les plus rentables :)
La page : http://www.milliondollarhomepage.com/
Plus d'infos : http://fr.wikipedia.org/wiki/The_Million_Dollar_Homepage
Rédigé par : tropgentil | 19 décembre 2009 à 14:46