Il est sympa.
Souvent souriant, il arrive à glisser jusque dans sa démarche un quart de seconde de retard, comme s’il était né avec le sentiment que tout cela n’est pas bien grave. Il a construit sa carrière sur sa bonne tête, sa vivacité d’esprit, mais jamais sur son travail puisqu’il est partisan du moindre effort. Il est drôle, cultivé, essentiellement généraliste. S’il part à l’étranger, il va mettre en priorité dans ses motivations l’intérêt culturel, la passion pour les religions locales. Il passera ainsi pour un humaniste, et parviendra un temps à impressionner ses pairs et ses boss, qui seront longtemps émerveillés par sont aptitude à être si ouvert et cultivé malgré sa vie professionnelle. Ils mettront
dix ans à comprendre que le mouvement perpétuel n’existe pas : s’il est aussi cultivé, c’est qu’il n’en fout pas une rame au bureau. Incompétent notoire dans son métier de technicien, il pourra se maintenir en poste des dizaines d’années parce qu’on l’aime bien, parce qu’il allége la structure par ses remarques en demie teintes, son esprit et son intelligence des situations.
Il n’a pas le droit d’avoir d’ennemi, sauf éventuellement ceux dont il sent qu’ils ne vont pas s’éterniser dans la structure. Il est fin psychologue, et va très vite fuir les managers trop exigeants, pour s’attacher a ceux sur lesquels son charme opère. Son sens naturel de la gestion des priorités va lui permettre de se faire reconnaître comme quelqu’un d’efficace par quelques hommes clefs ou à fort potentiel, et il va ainsi se tisser un véritable réseau au fil des années, qui va pallier son ignorance crasse et son pouvoir de concentration d’un enfant de cinq ans. Afin d’opérer ce pouvoir de séduction permanent, le dilettante devra posséder un ou deux dons qui le sortent de la masse : une mémoire hors pair, l’appartenance à un milieu favorisé, toutes ces marques d’exceptions qu’il s’arrange pour mettre en valeur en permanence sans jamais en parler, par des petits détails, des intonations ou des hochements de têtes. Il n’a pas tout lu mais peut parler des classiques avec aisance, faire la moue quand on cite le dernier BHL ou faire apparaître une petite lueur de connivence lorsqu’on mentionne devant lui « Les Bienveillantes ».
Il tissera ainsi sa toile et pourra servir de référence lors d’une conversation sur Flaubert, le Mozambique ou la guerre de sept ans, glissant par ci par la une anecdote sur la vie de Clemenceau ou un bon mot de Sacha Guitry, mais personne n’aura plus l’idée de lui demander un point de vue technique ou professionnel, sans pour cela remettre en cause sa présence.
Car le dilettante a du temps. Il en fait le moins possible, mais consacre ses heures perdues à parfaire sa culture. A une époque c’était plus compliqué, il devait user de subterfuges pour lire au bureau sans se faire attraper, glisser son livre sous un classeur à demi fermé ou le mettre sur ses genoux avec le risque de se faire attraper par son chef de service, mais aujourd’hui, il a un écran d’ordinateur, et INTERNET, qui ouvre tous les possibles.
Jusqu’ à 45 ans, de par sa légèreté et son charme, il fait illusion au sein du groupe. Ses pairs le déconsidèrent un peu, ses nouveaux patrons sont des amis des anciens, le réseau continue à fonctionner. Il a parfois des juniors, qui l’adorent car il est accessible et s’intéresse à leur vie personnelle avec sympathie et intelligence, faute de comprendre leur vie professionnelle.
Pour tous c’est un type bien, un humain, et c’est si rare …
Le poids de la structure d’un grand groupe institutionnel lui permet de faire illusion, il peut passer entre les poutres métalliques qui tiennent le tout. Vers 45 ans, au plus tard 50, il perdra les plans et commencera à se prendre des murs. Il n’est pas méchant ni désagréable, même pas aigri, et toujours sympa mais ça ne suffira plus. N’ayant pas le droit de s’énerver, respecté pour son rôle d’arbitre puis de sage, il a aussi perdu sa combativité, et résiste plus mal aux coups. Les jeunes générations, sans pitié pour ce frais fixe dont elles ne perçoivent plus l’intérêt lorsqu’elles commencent à réaliser le prix du travail, vont progressivement faire tourner le moulinet à baffe. Des lors, il n’a plus le choix. Soit il se met à travailler, et c’est souvent trop tard, soit
Je le vire.
Moi je le trouve sympa lui.
Quant à celui qui va le virer, quel abruti !
Oups, j'oubliais, c'est le site du DRH
Vous m'oublierez, mon nom est KellyH
Rédigé par : KellyH | 07 novembre 2008 à 16:26
First saw so article is too great! I hope you do it again!
Rédigé par : coach shoes | 16 novembre 2010 à 01:23