Faire les ressources humaines d’un métier très opérationnel et très profitable dans un grand groupe est plutôt enrichissant. On a des interlocuteurs de très bon niveau, dont les synapses fonctionnent nettement mieux que la moyenne, en tout cas que les miens dans la plus part des cas.
On a également bien sur l’incontournable lot de crétins ou de
salopards qui vivent sur la bête, mais ils sont bien identifiés, et
leur position est de ce fait de plus en plus inconfortable avec le
temps qui passe.
Au fond, nous ne sommes pas très éloignés de mon ancien métier : des
gros ego, avec une forte obligation de résultats qui canalise ou exclut
à terme les récalcitrants.
Et beaucoup d’argent.
La problématique que je découvre ces jours ci...
est celle des secrétaires- assistantes : je n’en ai jamais eu.
Elle ressort d’autant plus dans ce type de métier qu’il n’y a pas de strate intermédiaire : la distance et la proximité sont grandes entre un grand patron et sa secrétaire, et personne ne peut faire le tampon entre les deux. On saute directement trois ou quatre catégories socio – professionnelles d’un bureau à l’autre.
Ces relations n’ont rien de nouveau : le maître et son valet ont toujours été très proches bien qu’appartenant à des mondes parfois opposés, mais le décalage peut chez nous toucher au sublime, et les rapports de salaire vont du pair a fois 100 entre une secrétaire et son patron.
Il ne sera pas question ici de mes relations avec ma propre secrétaire, que nous partageons à l’étage : bien que fasciné par sa propension à prendre des vacances ( un mois depuis mon arrivée début Mars, nous sommes le premier Juin ), nous entretenons les rapports d’un jeune lieutenant avec son sergent chef : j’ai les galons mais toi tu as fait l’Indochine, et surtout j’ai nettement plus besoin de toi que le contraire.
Sur des bases aussi saines ça ne peut que bien se passer. Je suis humble et en phase d’apprentissage, elle me materne gentiment du moment que je ne lui en demande pas trop et qu’elle puisse avoir les pieds dans les starting blocks à 17 h 22.
Le caractère dont je vais vous parler aujourd’hui est tout autre.
Bernadette.
Tout d’abord les faits :
Bernadette a trente ans de maison. Désespérément vierge, elle vit avec sa mère qu’elle hait. Avec un peu d’imagination on pourrait penser qu’elle l’a mangée et continue à toucher les allocs, mais j’ai peur que même pas.
M’aime pas ? Tiens, ça lui va bien. 51 ans, un cheveu sur quatre, une peau qui laisse à penser que son corps aimerait bien sortir de l’adolescence mais n’en a jamais eu l’occasion.
Lunettes à monture noire rectangulaires, une voix qui change d’octave toutes les minutes mais qui pourrait rappeler un frottement appuyé de tournevis cruciforme sur tableau noir.
Maigre avec les os qui saillent, elle ne compense visiblement pas à travers la bouffe, grand refuge des âmes malmenées ou solitaires.
Bernie craque. Bernie est totalement paranoïaque, n’a pas de vie en dehors du bureau qu ‘elle ne peux plus supporter. Victime d’un harcèlement imaginaire ( on a été jusqu'à me dire que j’étais incompétente ! ! ! ! ), la voilà qui déboule dans mon bureau avec un dossier épais comme ses verres de lunettes alors qu’elle était censée être en vacances. Nous sommes partis pour neuf pages manuscrites écrit petit racontant l’épouvantable médiocrité de sa vie, la solitude au quotidien.
Le déclencheur : il y a 2 ans, arrive à son étage une jolie blonde pulpeuse et rigolote, intérimaire bientôt embauchée. Les grands dadais Vice-Président ou Managing Director, immédiatement sous le charme, roucoulent en souriant niaisement dès qu’ils la croisent, la tutoient et se bousculent à la machine
à café comme les garçons de 13 ans qu’ils sont restés.
Notre jeune amie se pavane, Bernie dépérit. Se fane. Il faut changer l’eau, diraient les sans- cœur.
Débute une guerre dans laquelle son statut de grande sœur, « Bernadette que ferait-on sans vous » passe rapidement à celui de machine à clous, « j’en peux plus de cette folle » ou « quelle est la conne qui…. »
Les hommes sont des chiens.
Mais Bernie veille au grain.
Bonne secrétaire, elle copie tous les mails de tout ce beau monde.
Ca c’est du dossier pour harcèlement ou pas ?
La pauvre. Elle m’a lu ses 9 pages pendant une 1 heure 45. M’a montré les mails…
Méchante aussi, mais bon. Je lui ai donné ce qu’elle voulait.
D’abord, j’ai pris ma voix de baryton, je l’ai fixée dans les yeux, et avec une diction bien lente, j’ai psalmodié :
« BERNADETTE, CE QUE JE VOIS C’EST QUE VOUS ETES MALHEUREUSE»
Sa voix, ses yeux se sont adoucis, et après deux ou trois secondes d’hésitation elle m’a dit :
« Ouiche »
Continuant l’hypnose tel Kaa dans le livre de la jungle, je l’ai enrobée dans une sorte de guimauve à la mélasse trempée dans une mare de Barbapapa, onctueux jusqu’a l’écœurement, et j’ai péroré 20 bonnes minutes sur ses qualités, je l’ai mise en valeur. 20 minutes. Rien que pour elle. Tout ce qu’elle voulait entendre. Finalement, le harcèlement est désamorcé, elle va demander d’elle- même une mobilité vers un autre département.
C’est pas gagné.
Bonsoir,
J'apprécie énormément vos billets sur le monde impitoyable et parfois étonnant qu'est l'entreprise.
Je tenais simplement à souligner que les assistantes/secrétaires ne sont pas divisées en 2 catégories : la jolie bimbo ou la vieille fille aigrie qui veillent bien à partir à l'heure tous les soirs. Car, comme vous le dites, l'écart entre l'assistante et son directeur est immense, alors on ne peut pas demander à une assistante de faire d'aussi longues journées qu'un cadre dirigeant. N'y voyez aucune aigreur, mais comme vous l'aurez peut-être deviné, je suis moi-même assistante.
Au petit bonheur de lire vos prochains billets...
Rédigé par : Coccinelle | 27 mai 2009 à 23:01