Dans une logique purement managériale, ceux qui nous dirigent doivent pouvoir faire état d’une « vision » lorsqu’on leur demande ou ils comptent aller comme ça. Régulièrement, l’état major lance donc des plans stratégiques à trois ans, dont la phrase centrale pourrait consister en « être encore présent ou plus haut dans la pyramide à ce moment là ».
Ces plans changent de nom au gré des suggestions de communicants spécialisés et riches, que nos dirigeants aiment bien tutoyer car ils ne portent pas de cravate et c’est bien normal.
Le dernier plan stratégique en date s’intitule « Aspiration 2010 ». La première aspiration est probablement de payer les factures de l’agence de communication qui a trouvé ce joli nom, les suivantes se résument à « essayons de convaincre l’actionnaire qu’on sait comment faire pour augmenter les résultats de 45 %
en trois ans. »
La suite se décline en une série infinie de réunions sponsorisées par Power Point dans lesquelles on retrouvera des mots comme « moteur », « appétence commerciale », « focus » « transversal » ou l’excellent « assertivité ».
Le top management de la banque s’approprie bien sur ces efforts, car les chiffres ainsi divulgués peuvent servir de couperet dans les années qui viennent : tu avais dit 400 clients de plus par an, tu en a huit en deux ans c’est mal. Il existe néanmoins une relative tolérance à la non réalisation des performances délirantes planifiées quatre ans plus tôt, on pourra toujours invoquer la fameuse conjoncture défavorable pour se justifier.
Les étudiants de MBA et les journalistes sont friands de ces plans : l’optimisme, l’énergie mise en œuvre semble créer un affectio societatis, engendrant ainsi un cercle vertueux pour le plus grand bien du monde capitaliste.
Seulement voila. Luke Skywalker, que la force soit avec toi, les sabres laser pour protéger la galaxie c’est efficace pour épater la plèbe, mais Darth Vador n’est jamais bien loin.
Gagner plus, bien sur, on est la pour ça. Mais il va aussi falloir dépenser moins, les enfants.
C’est ce qu’on appelle le fameux effet de ciseaux, contradictoire en théorie puisque le bon sens pourrait faire croire que pour gagner plus il faut investir un peu donc dépenser plus, mais en fait pas du tout.
Afin d’implémenter le coté obscur de la force nous venons de recruter un boucher issu de l’industrie dont la mission est clairement de réduire les dépenses. Pour ce faire, il a eu l’idée de génie de créer le pendant maléfique d’ « Aspiration 2010 » qui s’intitule en toute logique « Ratio 2010 », pour rationalisation on l’aura compris.
Ce versant du futur est pris nettement plus au sérieux par les managers de la banque, car déroger aux réductions planifiées est plus que dangereux, gagner moins soit, dépenser plus, jamais.
Les 100 premiers managers de la banque se réunissent le mois dernier dans notre centre de formation à l’ouest de Paris, un joli château récupéré il y a quelques dizaines d’années lors d’une faillite. L’archevêque du cost cutting va leur expliquer à quelle sauce ils vont être mangés.
Si on devait faire un portait robot du top manager moyen, on aurait une sorte de quinquagénaire compassé, semi chauve et mal fagoté, rigoureux et plutôt casse bonbon. Un ego surdimensionné mais souvent peu soucieux de son apparence et plutôt façonné à l’école de la sobriété et du conformisme (Polytechnique ENA ou HEC), il a toujours été vieux mais ça commence à se voir. Par ailleurs c’est un bon soldat blanchi sous le harnais qui a donné sa vie à banque et que ses enfants appellent monsieur puisqu’ils le voient une heure par trimestre.
Nicolas est l’un d’entre eux. Mais Nicolas ne rentre pas dans les standards. Il a 40 ans et l’air d’en avoir 28. Sa femme bossait dans la mode et il a un profil de métrosexuel, ces gays qui ne le sont pas. Il a mis de coté quelques dizaines de millions d’Euros puisqu’il est responsable d’une des grosses activités liées aux marchés financiers.
Et il aime bien que ça se voit.
Aujourd’hui, Nicolas est en retard. Son Aston Martin DB9 à 200 000 Euros ne lui a pas permis de s’évader des embouteillages matinaux ni de rattraper le retard consécutif à une bête panne de réveil.
Tous nos banquiers ont revêtus leur faces de carême afin de se préparer à l’hallali : le boucher va bientôt rentrer dans le détail de la découpe et ils savent qu’il vont repartir avec un membre en moins. Dans cette ambiance Père Lachaise ou le jeu est de ne pas dépasser deux mégahertz et de parler sans desserrer les dents en regardant ses chaussures, on sonne la fin du café et tout le monde se rend l’un pas morne du château à l’abattoir, l’amphithéâtre de présentation.
C’est bien sur à ce moment la que Nicolas arrive à 80 KM / H dans l’enceinte du château, et se retrouve obligé d’utiliser son frein à main dans un magnifique dérapage contrôlé qui lui permet de ne pas rayer une dizaine de banquiers de la surface du globe, dans un bruit de moteurs rugissants.
Après il a été très discret toute la journée, et apparemment il s’est acheté une smart.
Un peu plus et la réduction de coût était faite avant même d'être annoncée !
Rédigé par : Brunoy | 11 juin 2009 à 17:14