Il y a un petit mois, nous rencontrons un profil qui fait plaisir ; Polytechnique, Corps de l’Armement au sein de l’école des mines, de la graine de général de brigade qui finalement aimerait bien gagner un peu d’argent.
Notre homme est agréable, le menton volontaire et le cheveux court, il va sur ses trente cinq ans et s’ennuie a gérer les participations de l’état dans diverses boites d’armement.
Son regard n’est pas trop perdu sur la ligne bleue des Vosges, il sait de quoi il parle et dispose d’un certain humour sur son propre parcours, ce qui n’enlève rien à l’excellence de son CV.
Bref, pour une fois qu’on tombe sur un ingénieur bien fini, on n’a pas envie de le lâcher
et on lui fait voir le ban et l’arrière ban du métier. Tout est fait pour faciliter la voie royale, puisqu’il devrait nous apporter un cerveau en état de marche et un carnet d’adresse bien touffu.
Nous savons par ailleurs que notre homme est en discussion avec une boite d’armement, ce qui n’a rien de choquant en de telles circonstances.
L’un des sujets sensibles lorsque l’on recrute un tout junior dans le métier dont je m’occupe, c’est la charge de travail : nous nous obligeons à bien prévenir les jeunes entrants qu’ils vont objectivement enterrer leur jeunesse, et que si tous les métiers dans tous les secteurs mettent en avant la quantité de travail exigée,
(je vous préviens mon petit monsieur, ne croyez pas que vous rentrez a la poste, ici on bosse), chez nous c’est vrai, on bosse dix huit heures par jour et un week end sur deux. Que disent ils à la poste d’ailleurs ?
Ce discours un peu catastrophiste est moins de mise pour les seniors : ils sont au courant, assument ou mentent sereinement sur leur capacités / motivations.
Ils s’étonnent rarement.
On voit assez mal un futur directeur de cabinet du ministre de la défense s’inquiéter de ne pas pouvoir être chez lui pour dîner à 20 h 15 parce que bobonne a fait un soufflé.
Aussi quand notre ami tique sur les horaires, ça nous chatouille un peu, mais on se dit ah ah ces fonctionnaires.
Nous nous mettons d’accord sur un rachat de pantoufle, puisqu’à l’instar des joueurs de foot, le transfert d’un polytechnicien du public au privé donne lieu à un flux financier ; L’entreprise rachète ( assez peu cher ) à l’état les quelques années que l’X lui doit, puisqu’il a été payé durant ses études.
Il est d ‘ailleurs assez fascinant de voir combien tout le monde s’en tape dans les ministères : l’élite de demain fout le camp sous le regard bienveillant des fonctionnaires en place, qui aimeraient bien faire pareil sans doute.
Ca fait partie du jeu, tout ça s’auto entretien pour la plus grande gloire de l’intérêt général, tu parles…
Toujours est il que celui que je pourrais donc appeler Zidane entame avec nous une joute téléphonique pour le moins étrange, a partir de la réception de son contrat :
J+1
Lui :
« Bonjour, j’ai bien reçu votre contrat, je vous le renverrais à mon retour de vacances, dans 15 jours. »
Nous :
« …… Vous ne pourriez pas nous le renvoyer aujourd’hui ? » (Ça fait un mois et demie qu’on discute les termes)
Lui :
« Non, je n’ai pas le temps, il faut que je vous laisse, je vais rater mon avion »
On trouve ça un peu bizarre, mais admettons.
J+2
Lui
« Bonjour, je vous appelle de mon escale à La Paz. Voilà, j’ai bien réfléchi, je me pose vraiment des questions sur les horaires (de son avion ? ? ! !), finalement je ne suis pas si sur, je ne pense pas que ça soit une bonne idée, je vous rappelle, mon avion doit partir, BIP BIP BIP.
Nous
…..
J+3
Lui
(Voix de plus en plus distante)
« Bonjour, je vous appelle de Lima, écoutez, mettez la conversation d’hier sur le compte du décalage horaire ( ? !) et d’une conversation animée avec mon amie ( ! ! ! ? ? ?) , je suis toujours très motivé pour vous rejoindre, je vous rappelle en rentrant.
Lui, il est très motivé, nous, on commence à être très inquiets. Visiblement, sa maman ne lui a pas appris qu’il était bon, parfois de ne pas tout dire, et l’option livre ouvert, charmante chez un enfant de six ans, perd un peu de son intérêt chez un gars de son profil.
On se met à douter de ses capacités à convaincre Lagardére qu’il est temps de vendre Matra s’il doit demander la permission pour aller faire pipi. Je ne nie pas que les conversations avec ces dames sur des sujets de carrière puissent être parfois houleuses, on pensait juste que celle ci avait eu lieu deux mois avant.
On a toujours un doute cela dit, on se dit qu’avec un CV pareil le gars est forcément solide quelque part. Bouge pas, tu vas voir.
J+15
Lui :
« Bonjour, je suis rentré hier. Ecoutez, je comprends que mon attitude ait pu vous inquiéter un peu. En fait, j’avais pris du Laryam (médicament anti-malaria avec écrit « possibles tendances suicidaires » dans la rubrique effets indésirable, ça c’est vrai). Voilà, je vous renvoie votre contrat d’ici une semaine. »
Ca y est, il recommence.
Outre l’envie de lui demander s’il a avalé une boite de Lexomil avant de nous appeler et qu’il pourra toujours se recycler dans un laboratoire pharmaceutique on lui fait comprendre qu’ayant le contrat en main depuis 15 jours, il serait peut être temps qu’il passe aux choses sérieuses.
Il temporise grave, nous on n’y croit plus trop.
Le bouquet final, c’est mardi dernier ( J + 19 ).Son futur boss, issu de la même cuisse, lui passe un coup de fil pour clore le débat dans un sens ou dans un autre. IL VIENT finalement, il a bien réfléchi tout ça tout ça.
On a un coup de fil goguenard du boss sur le thème « à quoi vous servez les RH, laissez faire les professionnels », et tout roule.
Sauf que nous on le rappelle. Pour vérifier.
Donc là on s’entend dire qu’il nous donnera sa réponse le lendemain première heure. Ca part mal, il a parlé a l’autre 10 minutes avant en disant le contraire.
Ensuite le lendemain, pas de nouvelles.
Vers 13 h on l’appelle, et il nous sèche :
« Ah, je suis bien content que vous m’appeliez. Ecoutez, je dois déjeuner avec ma sœur. Elle me connaît très bien, et je pense qu’elle sera de bon conseil.
Sa sœur.
Ben il a été surpris quand on lui a dit que finalement on ne le prenait pas.
Je ne serais pas étonné qu’il appelle sa grand mère.
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