Son physique maigre et joyeux confirme une appartenance à une vielle famille aristocratique, et sa voix légèrement haut perchée en est le prolongement. Dégingandé bien que petit, Paul a les gestes saccadés et le regard vif et sans battement de paupières d’un échassier sur le qui vive.
Il dispose également d’un cou d’une longueur improbable, la peau de son visage est tendue, ses traits sont émaciés et sa bouche minuscule, un peu comme si la momie de Ramsès II s’était faite lifter.
S’il est vrai que les populations de cadres supérieurs des institutions financières
ont leurs quotas de juifs et d’aristocrates alors on voit bien ce qu’il fait là et comment il y est arrivé.
Science Po mâtiné d’un peu de droit il y a 35 ans, une forte volonté de faire de la diplomatie mais pas assez de hargne pour intégrer l’ENA, l’habitude de parler aux puissants dans le cadre des réunions familiales et un tempérament expansif, nous voila avec beaucoup d’ingrédients pour se faire une place dans la demi luminosité de ce soleil sans chaleur qu’est le monde bancaire.
Une fois de plus n’allez pas croire que je crache dans la soupe, mais Paul s’est certainement entendu dire dans sa jeunesse « tu vas faire carrière dans la Banque », et une partie de son intellect a du valider cette idée, puis mourir.
Je ne sais pas si l’on parle du chant du Flamand Rose comme on parle du chant du cygne, mais c’est exactement ce qui a du se passer il y a bien longtemps dans le cerveau de notre ami.
Depuis, il caquette dans son confort intellectuel et monnaye son vernis social. Après tout, des règles un peu rigoureuses ont obligé ses aïeux à ne pas travailler pendant quelques siècles, autant valoriser les contacts et l’aisance qu’ils ont eu le temps de construire pendant que les vilains labouraient leurs champs.
Depuis 15 ans, il navigue a vue dans les couloirs des organismes internationaux, fait du lobbying et connaît quelques secrétaires d’états et divers attachés d’ambassade. A force d’être convaincu de l’utilité de ses connexions il a fini par en persuader son entourage, et même si son faire savoir dépasse de mille lieues son savoir faire, il est assez serein quand au maintien de son (absence de) poste jusqu’ à la retraite, dans cinq ans.
Paul a pris rendez vous avec moi car il cherche un adjoint qui puisse le remplacer. Dans 5 ans toujours.
Nous parlons de la pluie et du bottin, il dit se souvenir de quand j’étais trader alors qu’il ne me connaissait pas la veille, tout ça marche au quart de poil et si on cherchait on finirait bien par se trouver un cousin commun, mais on est la pour travailler quand même. Cela dit le gars est en effet très cordial et d’un contact facile.
Alors commence la description de l’adjoint
« Tout d’abord, il me faut un Russe car lorsqu’on regarde ce qui se passe à l’ONU on voit bien que le partage du monde est en train de changer par exemple tu vois ce que je veux dire le sous secrétaire a geneve est désormais systématiquement un Russe car les anglos saxons s’étaient quand même taillés la part du lion mais le rééquilibrage des forces en présence est plutôt dans le sens de l’est notamment à cause du pétrole ». J’en ai coupé un peu.
J’essaye timidement de glisser
« Un russophone ferait il l’affaire » ?
Et sur ses lèvres parcheminées commence a flotter un sourire lointain, sourire de celui qui sait et qui va vous expliquer pourquoi vous faites fausse route, entre la connivence du vieux sage qui aime bien partager son expérience avec un jeune apprenti et la hauteur du visionnaire qui sait ou il veut aller, indiscutable et ferme comme les principes que sa famille maintient depuis des siècles.
« Non seulement un Russe, mais je dirais un Russe qui connaît très bien les arcanes du Kremlin »
Mon Dieu il est fou.
Et il embraye directement sur
« Il faudrait bien sur qu’il ait quelques d’expérience dans les marchés financiers »
MOUI
Ok, bon ben je vais me mettre en chasse, nous disions donc un russe issu du pouvoir, la quarantaine, ex trader avec des capacités d’encadrement, et qui soit prêt à aller faire la queue dans les ambassades et à l’ONU pour savoir ce qui s’y trame, lire « Jeune Afrique », les articles de fond de Courrier international et patienter 5 ans avant d’avoir quelques responsabilités sur un poste qui va je pense disparaître d’ici la.
Bien Bien Bien, je vais regarder ce que j’ai en magasin. Ca ne va pas forcément être facile bien sur.
« Non bien sur, j’ai bien conscience que je vous demande un mouton a 5 pattes, mais on ne sait jamais n’est-ce pas ».
C’est sur, on ne sait jamais, mais là il va falloir que je tienne encore 15 bonnes minutes sans rigoler et ça ne va pas être simple. Notez bien, comme il me le fait lui-même remarquer,
« Nous ne sommes pas complètement pressés, je dois en reparler à Achille (son boss) à l’été »
Enfin je respire, un peu de répit. J’en profite donc pour faire circuler le message : si quelqu’un a des contacts avec Gorbatchev, et si ça peut éventuellement l’intéresser de venir nous dépanner pendant cinq ans on est preneur.
Nous n’allons pas pouvoir le payer beaucoup en revanche, ces jobs la sont assez mal rémunérés, il faut plutôt trouver quelqu’un qui ait la foi.
Sinon je pensais à Mikhaïl Khodorkowski, qui tricote des chaussons en Sibérie après avoir été patron de Ioukos, il connaît le Kremlin. Si quelqu’un a une idée ou des contacts pour le faire libérer rapidement de ses 354 ans de goulag, le groupe doit pouvoir lui proposer quelque chose.
Sakharov est mort, Yvan le terrible aussi…
Andropov ? Menaupov ? Boulganine ? Navratilova ? Léon Troyat ? Henri Trotski ?
Je reste ouvert à toutes suggestions.
Et pendant que vous y êtes l’un d’entre vous pourrait il me confirmer que ça n’est pas moi qui suis fou ?
Non non, ce sont des choses qu'on voit assez souvent malheureusement... ^^ ...
Rédigé par : Elise | 28 mai 2009 à 14:37