Il est curieux de constater à quel point des éléments superficiels comme l’apparence physique, la diction, le rire, tout un faisceau de critères non professionnels peuvent influencer le choix puis la gestion des relations entre certains managers et les membres de leurs équipes.
Cette constatation dépasse l’analyse purement sexuelle : beaucoup d’hommes sont certes menés par leur braguette quoiqu’ils en disent, et préfèrent être entourés de jolies filles dans l’espoir de les connaître bibliquement un jour ou l’autre.
Ces vœux sont souvent peu exprimés Dieu merci, et alimentent la pompe à fantasme de tout un chacun, permettant ainsi de mettre un peu de sel dans un quotidien souvent morose.
C’est humain, assez masculin.
Je parle ici plutôt du patron qui va s’entourer de gens beaux et cool, des deux sexes et autres, afin que son entourage direct, sa cour, soit plaisante.
Il recherchera - qui de la vivacité, du répondant
rehaussé par des traits réguliers, - qui les accès à une vie nocturne et sa faune, -qui un fort sens comique ; la maîtrise d’un sport à haut niveau peut également être appréciée, bref un quelconque magnétisme sans aucun rapport avec de réelles compétences professionnelles vous fera intégrer le cénacle.
Bien sur si l’on peut être bon dans son boulot c’est mieux, mais pas trop : il est dans la job description du favori de ne jamais être une menace potentielle.
Ce premier cercle des amis du chef, sélectionné en fonction de critères ainsi définis, doit se renouveler assez régulièrement. La logique économique et financière de notre société est hélas incontournable, et toutes ces qualités cosmétiques ne sauraient palier longtemps la fainéantise, le manque de rigueur ou la simple atteinte du fameux seuil d’incompétence cher à Peter.
Le chef peut donc couvrir ses protégés un certain temps, puis se doit de les abandonner. C’est le prix à payer pour se maintenir, pas la partie la plus agréable de son job.
Il peut s’acquitter de cette tâche plus ou moins élégamment : s’il veut être propre, il doit travailler un peu pour son ancien protégé, faire sa pub dans un autre département lui correspondant mieux, ou le maintenir dans un placard en attendant son départ à la concurrence.
Si son humanité s’est dissoute dans le succès, il ignore, méprise, voire casse pour longtemps les plus faibles de ses ex-faire valoir.
Voici Cécile.
Cécile a 36 ans. Pur produit des grandes écoles de commerce, elle est dans le métier depuis une petite dizaine d’années. Intelligente, jolie, s’exprimant avec facilité et pétillante, elle a sacrifié son équilibre familial sur l’autel des semaines de 85 heures, et mène aujourd’hui une vie de mère célibataire.
Cécile s’est un peu empattée récemment.
Elle fut un temps proche des cercles du pouvoir.
Elle ne l’est plus.
Consciente que sa progression s’est considérablement ralentie dans les deux dernières années, et désireuse de voir un peu plus son petit garçon, Cécile souhaite changer de vie : pouvoir rebondir ailleurs tout en travaillant un peu moins paraît légitime, et peut-être veut-elle aussi se reconstruire un semblant de vie en dehors du bureau.
Voici Alain
Alain c’est le pouvoir. La cinquantaine, c’est avant tout un manipulateur hors pair. D’une violence incroyable parce que froide, son rare demi-sourire peut faire fondre n’importe qui.
Alain est un tueur, craint et respecté par ses troupes. Il possède une grande légitimité, mais ne s’intéresse pas aux gens. On parle de quelqu’un qui pourra vous croiser dans l’ascenseur un dimanche vers 9 heures du soir sans vous dire bonjour, sachant que vous avez passé vos dernières 36 heures à boudiner des dossiers pour la présentation du lundi, à laquelle il participera.
Faute d’intérimaires disponibles, les heures sup. sont chères.
Ah oui, au fait, il est rat. Non mais rat à payer pour tout le monde au restaurant et garder les pourboires (c’est 60 euros en arrondissant, je fais une carte), s’endormir au péage quand il est passager.
Alain, stade presque ultime du pouvoir, sait combien sa position est fragile. Son statut de Titan est entre les mains d’une poignée de dieux cravatés, 9 ou 10 êtres mythiques dont il ne fait pas encore tout à fait partie.
Cécile veut partir, Alain est pour. A-t-il été contre, demanderait Sacha Guitry ( je suis contre la femme, tout contre ) ? Ca n’est même pas sûr.
Ils n’ont probablement jamais couché ensemble, et à la limite on s’en fout.
Ce qui nous intéresse, c’est qu’ils ont développé une réelle relation de proximité, une complicité basée sur la fascination d’un côté, la cosmétique de l’autre. Que ces liens aient été validés par une aventure de fesse n’est pas le débat, c’est un détail.
Recaser Cécile.
Voilà une bonne mission pour les RH.
Cécile est recasable. Son seul petit travers : elle a pris goût aux puissants, il lui faut un job qui brille. Elle aime glisser dans la conversation qu’elle sort du bureau du Président.
Nous trouvons le poste. Une sorte de miracle. Nous lui faisons passer 15 entretiens sur trois semaines, avec tout le gratin, le top 10 de la banque la reçoit, c’est un poste sensible. Elle est motivée, elle plaît.
En final, le chef ultime passe une demi-heure avec elle.
Il est un peu réservé. Comme souvent à ces niveaux là, il n’a rien compris et confond tout : elle devait être No 2 d’un département, il avait compris No1. Non qu’il soit crétin, l’info a juste mal été transmise.
Il trouve Cécile sous calibrée, personne n’ose lui expliquer ouvertement la méprise. Vaguement conscient d’un hiatus, il appelle Alain.
Pour avoir son avis.
Après tout, elle a travaillé pour toi, non, Alain ?
Sentant le quart de la moitié du début d’une quelconque hésitation chez son grand timonier du moment, Alain coupe. Tranche. Casse. Brise. Piétine. Vilipende. Voue aux gémonies. Il ne peut imaginer l’infime possibilité que le mismatch de Cécile sur ce poste lui retombe d’une quelconque manière sur le coin de la tronche.
Nous l’avions bien sur informé de tout le process depuis le début, tenu au courant à chaque nouvel entretien.
Ben non.
Il avait du oublier ses gonades dans la table de chevet de sa maison de campagne.
En trois minutes de conversation, il a plié l’affaire.
Plantée, Cécile.
Yak.
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